La durée de vie d’une route

La durée de vie d’une route

Dr. MENIN, Directeur Général de MENSO SARL, entreprise spécialisée dans le BTP, explique dans cette interview pourquoi les routes ivoiriennes se dégradent vite et propose des solutions pour rallonger leur durée de vie.

«La durée de vie d’une route s’apprécie par le nombre de passages d’un véhicule type.»

Une frange de la population pense à tort ou à raison qu’aujourd’hui, les routes n’ont pas une longue durée de vie. Qu’en pensez-vous ?
‘’Ces personnes se trompent sur le sens de l’expression durée de vie (ou de service) de la route’’. La durée de vie ou de service d’une route s’apprécie par le nombre
de passages N d’un essieu-type (disons simplement d’un véhicule-type) que la route peut supporter avant d’être dégradée et devenir peu circulable dans de bonnes conditions.
Ce véhicule type a une charge donnée, ici c’est 13 tonnes. C’est donc cet essieu (ou ce véhicule) qui, compte tenu de la nature et des épaisseurs des différentes couches de la chaussée, peut passer un certain nombre de fois par jour et par an (en tenant compte de l’augmentation du nombre d’essieux d’une année à l’autre) et ce, pendant un nombre d’années ‘’a’’ (‘’a’’ est généralement égal à 15 ans ou 20 ans).
Ainsi, le nombre N total de passages d’essieu atteint au terme des années ‘’a’’ avant que les conditions de circulation sur la chaussée ne soient dégradées indique-t-il la durée de vie. Au cours de cette période de ‘’a’’ années, trois situations peuvent se présenter.

1. Le nombre de passages effectifs de l’essieu-type par jour est égal au nombre de passages théorique par jour de l’essieu-type prévu dans les hypothèses de calcul. Le nombre N sera atteint au terme des années ‘’a’’. Cette situation est rare, surtout dans les pays tropicaux.

2. Le nombre de passages effectifs par jour de l’essieu-type est supérieur (ou inférieur) au nombre de passages théorique par jour prévu dans le calcul. Le nombre N de passages sera atteint avant (ou après) le nombre d’années ‘’a’’.

3. Le nombre de passages effectifs de l’essieu type par jour est égal au nombre de passages théorique par jour de l’essieu-type prévu dans les hypothèses
de calcul, mais certains essieux, au lieu d’être chargés à 13 tonnes, le sont par exemple à 17 tonnes.

4. (Les études montrent que le passage d’un seul essieu de 17 tonnes crée dans la chaussée des désordres de même niveau que le passage d’environ
3 essieux de 13 tonnes).
On comprend donc que s’il y a de nombreux essieux de 17 tonnes dans le trafic, on atteindra le niveau de désordres (ou de dégradation) correspondant à N essieux bien avant d’atteindre le nombre d’années ‘’a’’ (d’où la nécessité pour l’Administration de contrôler les charges des essieux sur la route).
Ce nombre d’années atteint du fait des surcharges peut-être bien inferieur à ‘’a’’ s’il y a des malfaçons dans la construction de la route et si en plus, cette
route ne bénéficie ni de suivi, ni d’entretien.

Qu’avez-vous à dire à ces personnes qui estiment que le matériau utilisé n’est plus de bonne qualité comme au temps du président Houphouët-Boigny ?

Ce n’est pas exact. Bien au contraire, les matériaux de chaussée sont plus élaborés et théoriquement de bonne qualité. Il faut plutôt dire qu’en ces temps-là, le trafic n’était peut-être pas aussi intense, et que les routes bénéficiaient de suivi et d’entretien, du fait du système retenu pour le suivi des routes.

Des usagers soutiennent que les travaux menés par l’AGEROUTE ne durent que le temps d’une pluie. Pourquoi faire seulement une opération qui ne
consiste qu’à refermer les nids de poule au lieu de faire un travail en profondeur sur toute la chaussée ?

C’est une critique facile et superficielle. Il faut dire que la route a une durée de vie ou de service, et que pendant cette période, elle a besoin d’être suivie ou surveillée et entretenue. Quand on atteint cette durée de service théorique, la route peut être fatiguée, dégradée et elle a besoin d’être renforcée, c’est-a-dire pratiquement reconstruite.
Peu avant cette date limite, le gestionnaire de la route peut se trouver devant les situations suivantes :

1. Il aura les moyens financiers et techniques nécessaires pour reconstruire la route. Il pourra donc renforcer la route ;
2. Il n’aura pas les moyens financiers nécessaires.

Cependant il sait que le service public de circulation automobile doit être assuré sur cette route. Le gestionnaire est obligé de faire fermer les nids de poule
existants, colmater les fissures pour que les véhicules puissent passer. Il fait donc ce qu’on appelle les emplois partiels ou qu’on pourrait appeler l’entretien intensif d’attente (en attendant les moyens financiers). Cette situation d’attente peut durer si les moyens ne sont pas trouvés rapidement. C’est donc un problème
de moyens.

N’est-ce pas gaspiller de l’argent en se contentant de faire des points à temps quand on sait que les travaux ne tiendront pas la route ?

Ce n’est pas du gaspillage d’argent, c’est permettre aux véhicules de passer dans de moins mauvaises conditions afin de réduire le coût d’exploitation de ces véhicules. Ces travaux devraient être repris ou améliorés ; s’ils ne le sont pas, c’est toujours les moyens financiers qui font défaut. L’eau, a-t-on coutume de dire, est l’ennemie de la
route. Mais bien souvent, des routes sont réhabilitées sans tenir compte des problèmes d’assainissement ? Le « bien souvent » de la question est surprenant
parce que quand on parle de réhabiliter une route, les aspects d’assainissement de drainage sont toujours pris en compte.
Cependant, l’absence d’un entretien régulier de la route, même réhabilitée, surtout l’entretien des fossés ou caniveaux, des buses et des ouvrages obstrués,
peut faire croire que les aspects d’assainissement n’ont pas été traités. Le suivi et l’entretien d’une route donnée commencent dès l’ouverture de la route (réhabilitée ou neuve) à la circulation.

Concrètement, qu’est-ce qu’il faut pour allonger la durée de vie des routes ivoiriennes ?

Les gens posent ce genre de question au regard de l’état moyen ou mauvais des routes ivoiriennes aujourd’hui. Ces personnes oublient, ou ne savent pas, que la majorité des routes ivoiriennes ont non seulement dépassé leur durée de vie, et que pendant près d’une dizaine d’années, elles n’ont pas reçu d’entretien conséquent et régulier.
Revenons à la question. Pour allonger la durée de vie des routes ivoiriennes, il faudrait :

1. choisir pour les routes revêtues à grande circulation (trafic élevé) des structures rigides (ou en béton) ou des matériaux bitumeux à module élevé. Ces structures sont généralement nettement plus chères que les structures classiques utilisées actuellement ;

2. avoir le réflexe et les moyens surtout financiers pour une surveillance et un entretien régulier des routes, car aucune route quelle soit, ne peut vivre sans un entretien continu ;

3. prévoir une contribution systématique des usagers en passant à des routes concédées, par exemple, ou alors à un simple péage sur toutes les
routes bitumées ;

4. que l’Administration routière s’oblige à mieux connaître non seulement le comportement de la route dans notre environnement spécifique
(matériau, climat, conditions de mise en oeuvre) mais aussi et surtout le trafic (volume, charge) qui emprunte ces routes toute l’année afin d’influencer la conception ;

5. pour les routes en terre, surtout revenir au principe d’intervention avant que la dégradation n’atteigne un certain niveau, ou alors systématiser le principe de suivi et d’entretien de proximité par contrat pluriannuel d’entretien, par exemple. En dehors du 1er point consistant à choisir des structures rigides ou à module élevé, les 4 autres points devraient être toujours pris en compte si on veut rallonger la vie des routes ivoiriennes.

La Côte d’Ivoire a-t-elle les moyens d’entretenir ses routes ?

Oui et non. Avant d’aller plus loin il faut d’abord
répondre à la question suivante : quel niveau de service la Côte d’Ivoire veut-elle pour ses différentes routes ?
Où plutôt, quel niveau de service les usagers de la route de Côte d’Ivoire attendent-ils de leurs routes ? On entend par ‘’niveau de service d’une route’’ l’ensemble des qualités de service que la route offre à l’usager du point de vue de la vitesse de parcours, de la sécurité et du confort. On dira plus simplement que c’est la vitesse moyenne de parcours en toute sécurité et confort que la route permet. Si donc cette vitesse est élevée -100 km / h et pluspar exemple, les exigences d’état de surface, d’uni, de sécurité et de signalisation sont plus élevées, et la route plus surveillée. Les prestations régulières d’entretien sont donc plus coûteuses.
Si cette vitesse est moyenne ou faible, les exigences sont donc plus faibles, et l’entretien, tout en étant régulier, peut être de qualité moindre et donc moins coûteux.
Ainsi donc, on devrait hiérarchiser ou classer les différentes routes et définir pour chaque catégorie, le niveau de service souhaité, et la structure responsable (Etat, collectivité), (entretien et financement). Dès lors, la structure peut choisir un type d’entretien qui privilégie par exemple l’entretien préventif, et surveiller la route à partir de la connaissance de l’évolution de certains paramètres avec une origine de temps TO fixée. Une fois cette classification faite, les besoins évalués
et les moyens décrits, on pourra répondre plus facilement par oui ou par non. Actuellement, une réponse ressemblerait à la résolution du paradoxe de Condorcet ou du trousseau de clés.

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